Entretien avec Marie Lancino: « à la découverte de la médecine chinoise à Shanghai »

En août 2025, je suis partie en stage de médecine chinoise en Chine, à Shanghai, pour découvrir les pratiques de tuina et d’acupuncture dans les hôpitaux.

[Galerie photos en-dessous de l’article]


Qu’est ce qui vous a donné envie de partir en Chine ?


« J’ai découvert la médecine chinoise il y a bientôt 10 ans, en 2016, en me lançant dans un cursus de Shiatsu. Cette vision totalement nouvelle du corps et de la santé m’a bouleversée. C’est alors que j’ai entrepris de me former et me suis inscrite dans une école pour un programme de 5 ans à l’Institut de Médecine Traditionnelle Chinoise. J’ai été certifiée en juillet 2024 et j’ai ouvert mon cabinet en septembre 2024 à Chambéry, en Savoie. Je suis actuellement les spécialisations de pharmacopée et d’acupuncture pour parfaire ma pratique.

L’IMTC, propose, en complément du parcours, des stages en Chine. L’apprentissage en France se fait intégralement par des professeurs français, et c’est un enseignement de qualité. Il me semblait indispensable, en tant que praticienne maintenant installée, de partir à la rencontre de cette médecine dans son pays d’origine, pour découvrir la culture, les mœurs, et les pratiques actuelles. »

Hôpital municipal de Shanghai, département d’acupuncture


Dans quelles conditions avez-vous été accueillie ?

« J’ai participé à un programme de 3 semaines organisé par le directeur de l’IMTC qui s’est lui-même formé en Chine il y a 40 ans, et y conserve de nombreux de contacts. Il a créé ce stage en partenariat avec l’Université de Médecine Traditionnelle Chinoise de Shanghai, et plusieurs hôpitaux de la ville.

Nous étions un groupe de 11 élèves français. Le matin, nous étions répartis dans plusieurs hôpitaux de Shanghai principalement en tant qu’observateurs des consultations. La première semaine, j’ai été accueillie au département de Tuina de l’hôpital Shuguang. Les deux semaines suivantes, j’ai suivi plusieurs médecins du département d’acupuncture et de tuina pédiatrique à l’hôpital municipal de Shanghai.

L’après-midi, nous avions des cours sur divers sujets à l’Université de MTC de Shanghai avec des professeurs et praticiens de MTC renommés (tuina, pharmacopée, acupuncture, sur des sujets tels que les troubles du sommeil, les lombalgies, la digestion etc.).

Les consultations et les cours étant en chinois, nous avions des interprètes chinois pour nous traduire en français. »

Groupe d’étudiants et professeur de tuina


Qu’avez vous découvert en Chine ?

« Il faut savoir que, si la médecine chinoise est pratiquée depuis 3 000 ans en Chine, elle a été marginalisée au début du XIXè siècle au profit de la médecine occidentale, puis réhabilitée lors de la révolution culturelle de Mao dans les années 60. Depuis, ces deux médecines coexistent au sein du système de santé chinois. Il y a des hôpitaux de médecine purement occidentale, mais dans d’autres hôpitaux, comme ceux que j’ai visités, les deux médecines s’alimentent et se complètent. On trouve, par exemple, le département de cancérologie au même étage que le département d’acupuncture.

Les médecins sont d’abord formés en médecine occidentale, puis se spécialisent en médecine chinoise s’ils le souhaitent.

J’ai trouvé que la médecine chinoise n’était pas pratiquée comme elle pouvait l’être traditionnellement. D’une part, et de part l’afflux de patients, les consultations sont très rapides et « à la chaîne » (15 min par patient, qui reviennent 2 à 3 fois par semaines pendant 2 à 3 semaines en fonction de la pathologie), d’autre part, le traitement consiste principalement à traiter les symptômes et la douleur. En tuina par exemple, nous avons vu beaucoup de pathologies similaires (cervicalgies, lombalgies).

Ensuite, chaque médecin pratique une spécialisation, et les départements sont bien séparés : tuina ou acupuncture ou pharmacopée. On retrouve ici l’organisation en silo de la médecine occidentale. Chacun sa spécialisation. Alors qu’un médecin chinois est, de base, formé à toutes les spécialités et peut traiter un patient en combinant les différentes techniques et outils, ce qui rend le soin d’autant plus efficace. Il y également un département de moxibustion dédié. C’est un peu le taylorisme de la médecine chinoise. On a modernisé et occidentalisé la pratique pour améliorer la « productivité.

Ce sont les patients qui choisissent de s’orienter eux-mêmes vers des consultations en médecine chinoise, et vers la spécialité qu’ils préfèrent. Souvent, les patients vont préférer la médecine occidentale pour les urgences, et la médecine chinoise pour la prévention et l’entretien. Par exemple, au département de pharmacopée, les patients viennent pour des traitement de patch ou d’injections de plantes l’été pour prévenir les maladies hivernales.

Un patient souffrant de cervicalgie pourra aussi bien prendre rendez-vous au département de tuina qu’au département d’acupuncture. Peut-être qu’on lui demandera d’aller réaliser une radio au département d’à côté avant de le traiter, puis il reviendra 1h plus tard avec sa radio et le médecin pourra alors consulter la radio et le traiter en fonction, puis l’enverra dans la salle d’à côté faire des exercices de rééducation.

Le système de soin semble très bien organisé et très efficace : les consultations sont prises en charges par la « sécurité sociale » chinoise, et on peut prendre rendez-vous en ligne avec un médecin très rapidement, c’est à dire le jour même ou le lendemain. Les médecins traitent chacun 50 à 80 patients par jour !

Il faut bien comprendre que Shanghai est une ville qui compte 27 millions d’habitants, et environ 23 hôpitaux de médecine chinoise.

Un élément qui m’a surprise, c’est que les élèves médecins ne pratiquent pas l’acupuncture lors de leurs stages à l’hôpital, et ne sont que des « assistants » observateurs, même après 5 années d’études ! En France, nous pratiquons dès la 2ème année d’études.

Nous avons croisé beaucoup d’étudiants étrangers en stage dans les hôpitaux pour quelques mois ou 1 an, pour valider leur cursus de 5 ans – parfois 8 ans pour les doctorants – qui parlaient couramment chinois (Costa Rica, Palestine, Lituanie, Arabie Saoudite, Belgique etc.). Maîtriser la langue est un défi de taille, en plus de l’apprentissage de la médecine chinoise qui en est un également. Les étudiants sont rattachés à un médecin en particulier, et l’assistent dans ses consultations.

Enfin, l’acupuncture est pratiquée principalement sous forme d’électropuncture, c’est à dire que certaines aiguilles clés sont branchées à un appareil délivrant un courant électrique de faible intensité. Cela stimule encore plus le point d’acupuncture et renforce l’efficacité du traitement. »

Electropuncture et moxibustion


Comment se déroule une consultation à l’hôpital de Shanghai au département d’acupuncture ?


« Le patient prend rendez-vous en ligne, se présente à l’hôpital où il va s’enregistrer, puis se rendre au département qu’il a sélectionné. Il attend dans un couloir avec les autres patients, puis va rencontrer le médecin dans une salle où il y a plusieurs (environ 6) boxes avec des lits séparés par de petits rideaux. Le médecine discute quelques minutes avec les patients, lui demande ses symptômes, prend son pouls et regarde sa langue, puis l’envoie s’installer dans un box. Il voit plusieurs patients, puis s’attelle à traiter les quelques patients déjà installés dans les boxes.

Les assistants apportent le matériel (les aiguilles), le médecin puncture très rapidement le patients (entre 40 et 60 aiguilles par patients!), puis passe au patient suivant. Les assistants, eux, branchent plusieurs aiguilles au dispositif électrique (ils pratiquent principalement ce qu’on appelle l’électropuncture : certains points clefs sont stimulés par un courant électrique), et posent les boîtes à moxa sur le patient. Ils ferment le rideaux, enclenchent le chronomètre pour 20 min (c’est la durée réglementaire pour la pose des aiguilles), et laissent le patient seul pendant ce temps.

20 min plus tard, ils débranchent l’appareil électrique, enlèvent les boites à moxa et les aiguilles, puis laissent partir le patient. Ce dernier reviendra quelques jours plus tard pour une autre séance. Dans certains cas, les patients ont également droit aux ventouses. »

Dorsalgie


Qu’avez-vous appris et comment ce stage va-t-il enrichir votre pratique en médecine chinoise ?

« J’ai énormément appris en observant les médecins, en échangeant avec eux sur leurs pratiques et sur la culture médicale chinoise. J’ai été rassurée de voir que notre formation en France est très complète, voire plus développée en pratique puisque nous pratiquons dès la 2ème années de formation. J’ai été ravie de constater que je comprenais les pratiques, les points utilisés, la démarche, et que cette dernière reste assez similaire de la nôtre sur beaucoup de points.

En tuina, les médecins ont pris le temps de nous montrer les gestes et de les décomposer. Ils nous les ont également appliqués sur nous pour que nous puissions bien identifier la force administrée et le ressenti sur le patient. Ils nous ont aussi fait pratiquer les gestes et les ont corrigés.

En acupuncture, l’observation m’a permis d’acquérir une certaine confiance dans mon geste et dans la manipulation des aiguilles. J’ai également pu identifier les protocoles nécessaires pour le traitement de la douleur, et rapporter des outils (notamment des boîtes à moxas) que nous ne trouvons pas en France et qui sont très utiles. Nous avons pu observer le traitement de diverses pathologies: lombalgies et cervicalgies, mais aussi dépression, retard de croissance, acouphènes, paralysie faciale, acné, constipation, insomnie, talalgie, hyperménorrhée, asthme, tendinite etc…

L’organisation de la pratique en hôpital ne correspond pas tout à fait à la pratique de la médecine chinoise en cabinet en France. Il n’est, en effet, pas envisageable d’enchaîner des consultations de 15mn, bien que la récurrence et la fréquence du traitement augmentent significativement son efficacité.

Dans les écoles françaises, on nous préconise de réaliser des consultations d’une heure environ, afin d’effectuer un bilan énergétique poussé, et de combiner les approches thérapeutiques (acupuncture, tuina, pharmacopée) pour une meilleure efficacité. Nous ne pratiquons pas dans les mêmes conditions que dans les hôpitaux chinois, et notre culture du soin est différente. Il serait difficile de demander aux patients de se déplacer 3 fois par semaines pour 15 minutes de consultation seulement.

De mon côté, je préfère prendre le temps, et rendre cette heure de consultation similaire à un vrai soin de détente, avec un massage du visage et du crâne aux huiles essentielles pendant la pose des aiguilles. La détente renforce également l’efficacité du traitement.

Par ailleurs, certaines techniques utilisées en Chine sont assez douloureuses, et ne sont pas praticables en France : les aiguilles biseautées pour casser les fibres musculaires, les aiguilles « chaudes » / de feu ou chauffées à blanc, laissant des cicatrices, les saignées etc.

Les chinois sont particulièrement résistants à la douleur, et ce n’est pas le cas en Occident. L’acupuncture et l’utilisation des aiguilles est assez redoutée et il est nécessaire de prendre des précautions pour ne pas faire mal aux patients.

Nous avons également pu visiter le musée de la médecine traditionnelle chinoise, retraçant l’histoire de cette pratique ancestrale. »

L’aiguille de feu

Conclusion

« Ce stage en Chine a été pour moi une réelle occasion de plonger au cœur de la pratique de la médecine chinoise dans son pays d’origine. En 3 000 ans, elle a évolué, s’est développée et enrichie. Elle est toujours utilisée comme médecine principale en Chine et connue de tous les chinois. Elle est pratiquée dans de nombreux pays asiatiques (Vietnam, Corée), et a influencé de nombreuses pratiques de soin en Asie comme le Shiatsu au Japon, ou l’Ayurvéda en Inde. Elle est aujourd’hui basée sur les mêmes principes et la même théorie qui sont toujours valables et reconnus pour leur pertinence et leur efficacité.

Si l’acupuncture commence à être pratiquée part les médecins et les sages-femmes en cabinet ou à l’hôpital, la médecine chinoise dans son ensemble avec ses nombreux outils et sa complexité est encore trop peu connue et reconnue. Je suis heureuse de contribuer au développement de cette pratique de soin en France, de la faire connaître pour améliorer le parcours de soin des patients, qui ont besoin d’écoute et de pratiques humaines. »

Galerie photos

Hôpital Shuguang et hôpital municipal de Shanghai

Université de médecine traditionnelle chinoise de Shanghai

Shanghai, Chine

Visites des montagnes jaunes, Huangshan


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